Je l'ai rappelée et ai essayé de ne pas perdre

Je l'ai rappelée et ai essayé de ne pas perdre mes moyens au téléphone. J'ai à peu près réussi. Et lorsque j'ai raccroché, j'ai craqué et pas mal pleuré, à gros sanglots. J'ai assez vite décidé que je ne ferais pas la relance téléphonique prévue, j'étais vidée, triste et fatiguée. Je n'avais aucune envie d'appeler des gens comme si de rien n'était, et de leur demander, enjouée, s'ils viendraient à l'AG.

André avait été retrouvé par sa soeur, déjà mort, couché dans son lit. Il avait enlevé ses lunettes, posées à côté. Il avait une couverture sur lui. Il semblerait que ce soit arrivé pendant son sommeil, sans que cela soit trop douloureux pour lui. C'était dans la nuit du jeudi au vendredi.

Apparemment, déjà dès le lundi il ne se sentait pas bien, genre grosse grippe, fatigue, mal dans un bras, au point qu'il s'était fait aider pour remballer ses légumes à la fin du marché. Plusieurs personnes autour de lui l'avaient incité à aller consulter un médecin, ce qu'il n'a pas fait.

Il venait d'avoir 60 ans en janvier. Il ne voulait pas prendre sa retraite, et de toutes façons ne pouvait pas vraiment car sa "carrière" était incomplète. Il aurait eu la possibilité de prendre la préretraite agricole, jusqu'en septembre de l'année précédente, ça existait encore. Après, ça a disparu dans une indifférence quasi générale. Il y avait juste le réseau associatif qui se demandait quelle solution pourrait alors être proposée pour les personnes dans le cas d'André, en fin de carrière et avec un endettement difficilement résorbable. Ou alors pour ceux qui avaient des problèmes de santé mais pas encore tout à fait l'âge de la retraite. Non, maintenant, ils n'ont plus de porte de sortie tenable, il leur faut juste continuer à bosser, en continuant à creuser le déficit, ou en continuant à s'abîmer la santé.

Nous lui avions parlé de cette préretraite, il n'avait que quelques semaines pour se décider avant la date de clôture de dépôt des dossiers de demande. Il avait été assez catégorique sur ce point. Plutôt sans concessions. Il se sentait de travailler encore, il voulait redresser la situation, il allait s'en sortir, et qu'est-ce qu'il allait faire s'il ne pouvait plus travailler ? Il ne pourrait plus voir sa fille de 4 ans pointer le bout de son nez en le cherchant entre les tomates dans la serre ? Non, décider de s'arrêter, il ne pouvait pas.